lundi 29 juin 2009

Le meilleur des mondes


L'autre soir, au restaurant avec des amis et ma fille, grande discussion sur l'état de la jeunesse en Europe. Elsa parle du sentiment de n'être que des spectateurs, de n'être conviés qu'à regarder le monde et la vie des "adultes"... Elle parle du désespoir de la jeunesse occidentale, qui préfère encore la fuite à la lutte. Elle raconte le sentiment qu'il n'y a pas de place pour eux, que quoiqu'il arrive, il faut choisir entre ce qui favorise l'épanouissement et ce qui permet de vivre.
Je comprends bien ce désespoir, mais une sourde colère me hante, quand je pense au reste du monde...

Car il y a le monde centre, la zone protégée, où vivent les plus privilégiés, même s'ils ne s'en rendent pas compte. Un monde de technologies, de services, un monde riche, un monde où tout marche de façon satisfaisante... Un monde où est offert ce qui manque à tous: tranquillité, sécurité.
Dans le monde centre, il y a des clients, des citoyens, il y a des travailleurs, des cadres, un système rigide et efficace, tout le monde est blanc, même les noirs de peau, il y a pour chacun une case, une bonne raison...
Bien-sûr, ce monde au centre n'est pas parfait : il y a des inégalités, de bonnes raisons de se révolter, il y a de la misère, de la crise, du désespoir...

Et il y a, là-bas, la zone interdite, qui n'est pas interdite formellement, mais où personne ne va... Le reste du monde, où l'on vit en regardant de loin les lumières du monde centre, une zone où l'on a parqué des travailleurs utiles et des inutiles, de retoqués de la modernité, des vestiges de l'humain...
Là-bas, la technologie est exceptionnelle, et quand elle marche, on s'en réjouit. Là-bas, ils se foutent bien de savoir comment l'on vit dans le monde centre, mais ils voudraient tellement y aller. Là-bas, ils ont des coutumes étranges et barbares, qui choquent les êtres civilisés et raffinés du monde centre.

Là-bas, on a sélectionné des individus pour les laisser entrer dans le monde centre : soit qu'ils aient montré leur soumission aux canons, soit qu'ils puissent être exploités pour travailler dans le monde centre. Là-bas, ils font la queue pour obtenir un laisser-passer, sauf conduit vers la lumière, vers une illusion.

Là-bas, ils sont noirs, bruns, foncés, fatigués, malades, miséreux... Là-bas, ils se battent entre eux et ont parfois le mauvais goût de nous rappeler qu'ils veulent une part du festin, qu'ils veulent une vie digne. Là-bas, quand ils se révoltent, ce sont des terroristes.

Là-bas, on jette les miettes de nos agapes, pour entretenir l'écran de fumée d'un illusoire développement.

La-bas, vous n'irez pas, car il n'y a pas de confort, pas d'amusement, pas de culture à visiter, là-bas, c'est encore plus loin que la réserve qu'on vous laisse voir, du haut de vos miradors blancs.

Là-bas, ils ne pratiquent pas le désespoir, car cela supposerait qu'ils aient connu l'espoir... Ils ne connaissent que la survie.

Pour se rassurer, se donner bonne conscience, il faut se souvenir qu'on ne peut rien faire. Le système est ainsi fait qu'il a besoin du monde centre pour consommer, pour développer les nouveaux concepts, pour faire travailler le reste du monde, pour déverser ses cochonneries en tous genres... L'inégalité, l'injustice sont consubstantielles du monde tel qu'il est.
L'appropriation du monde par une génération aux dépens d'une autre procède du même mode de pensée : l'humain est une variable d'ajustement, l'environnement une externalité dont la gestion appartiendra à ceux qui viennent après, il nous faut accumuler, encore et toujours.

Ce post, commencé comme une allusion à Huxley, laissez moi le terminer en détournant Ferré :
"Avec nos âmes en rade au milieu des rues, nous sommes au bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande, à regarder passer les révolutions, n'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant avec la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres".

lundi 1 juin 2009

La dialectique du manque et du trop plein, ou la vocation de la nostalgie

Il y a chez certains voyageurs une mélancolie qui n'appartient qu'à eux, un regard absent, un vide jamais comblé, un tourment sourd et invisible, comme une malaria endormie qui se réveille parfois en violente crise...
Ils sont bien là, assis face à vous, mais dans leur cœur, un ailleurs les appelle silencieusement, comme une promesse jamais tenue de félicité éternelle.
Et sitôt partis, ils pensent aux moments passés ensemble et regrettent de ne plus être assis face à vous.

Jamais en paix, jamais satisfaits, il leur faut toujours partir vers l'horizon, vers cet ailleurs qui brille au loin... Là-bas, là où se couche le soleil, c'est là qu'ils voudraient être, mais ils ne trouvent la paix que dans le mouvement, que dans un futur brillant, jamais accompli.

Un pied dans le passé, l'autre lancé vers le futur, ils vivent sans vivre, entourés de points d'interrogations, d'incertitudes. Ils sont comme le vent, lancés contre les montagnes, levant le sable furieusement, apaisant la brûlure du soleil, ils sont à peine arrivés qu'ils sont déjà repartis.

Ils ont dans la tête les légendes des grands voyageurs qui les ont précédés, la légende des ports et des routes, et veulent à toute force en toucher la poussière, graver au fond de leurs yeux l'image de la légende, en écrire leur page. Ils savent bien que leurs traces s'effacent déjà, que rien ne subsistera de leurs rêves. Mais vit-on pour chevaucher les légendes, ou pour labourer le réel ? Ils ont fait leur choix...

Ils ont à jamais la nostalgie d'un futur impossible, ils portent cachée au cœur la blessure de cet ailleurs qui n'existe que dans leurs chimères et le manque de ceux qu'ils aiment, éparpillés à la surface du globe.