vendredi 21 décembre 2007

Eid Mubarak ! Joyeux Noël ! Et en plus c'est le solstice d'hiver !

Hier soir, en plaisantant à haute voix, au bar, Munif m'a mis dans une situation embarrassante ! Dans la société de sécurité de l'autre projet qui partage le compound avec nous, il y a un français, que j'avais identifié comme tel... Mais lui n'avait jamais prêté attention, et ça me convenait très bien.
Munif, donc, a dit que je n'étais pas un vrai français, si je n'aime pas le fromage ! Quelques minutes plus tard, ce PSD vient donc vers moi, pour me demander confirmation (pas sur le fromage, sur ma nationalité !). Après quelques considérations générales, je m'aperçois que je suis en train de parler avec un facho bien carabiné !
Les amerluches sont pour lui des dégénérés, puisqu'ils sont composés de la lie des sociétés européennes du 19° siècle. Les musulmans sont nos ennemis, il le sait, puisqu'il a lu le Coran, j'en passe et des meilleures ! Et moi, comme je suis poli, et que je n'aime pas faire des vagues, je n'ose pas lui dire d'aller vomir ses saloperies ailleurs...

Comme c'est encore l'Aïd, aujourd'hui, repos. Il y avait une sortie à Camp Victory prévue, mais une lombalgie m'a cloué dans un fauteuil : j'ai battu mon record personnel de films vus en un jour : quatre ! Thrillers, évocations historiques... que des amerlucheries, mais tellement bien foutues qu'on finit par s'en moquer !

Parait que c'est bientôt Noël : ils ont mis un sapin en plastique dans le hall de l'hôtel et suspendu une guirlande. Y en a même qui espèrent qu'on va nous envoyer du fromage et du chocolat...

Quand on s'est habitué à un rythme de travail assez soutenu, trois jours d'interruption, ça fait rêver avant, mais quand on y est, on ne sait pas qu'en faire ! A peine le temps de dormir bien à fond, de se faire quelques films, le dernier jour est déjà là, et avec lui les regrets. Comme quand le mois de septembre commençait, qu'on savait qu'il faudrait bien retourner à l'école... Y avait des mûres sur les talus, les soirées étaient plus courtes, et on reparlait déjà de cartables... Ici, l'avantage de la proximité de l'Aïd et de Noël, cette année, c 'est de démobiliser tout le monde en même temps : impossible d'organiser une formation en cette période, pas de stagiaires, pas de formateurs, pas d'administration... Je n'ouvre que rarement ma B A L professionnelle, mais je me doute que les chefs, eux, continuent de faire pleuvoir les mails... Basta !

Il fait gris, les palmiers n'en ressortent que plus verts, et même pour une messe de minuit en arabe, je suis prêt à sortir du compound ! C'est dire si j'ai besoin d'oxygène !

samedi 15 décembre 2007

Persistance du bleu, entrecoupé de passages nuageux

Le vent secoue les palmiers, les nuages ont envahi le bleu du ciel, il doit faire frais, dehors... mais pourquoi sortir...
Décembre, et toujours pas de traces de guirlandes lumineuses dans le compound, ni boules de neige, ni Père Noël...
Se laisser dériver entre deux mondes parallèles, rêver, les images de France, où les gens portent des manteaux, et nous qui sortons juste en gilet, ou petites vestes, Noël et l'Aïd, les vacances qui s'approchent, les projets d'ailleurs, les achats, et le temps qui glisse péniblement et laborieusement, à peine perceptible, et pourtant...

Se tisse entre les habitants du compound une sorte de complicité, de sourire souterrain, de solidarité qui se devine à de petits signes. Qui télécharge de la musique pour la partager avec les autres, qui rapporte des biscuits de l'autre compound, qui prend soin de faire que chacun ait ce qu'il veut et mérite en matière de chambre dans le nouvel hôtel où nous migrons dans peu de temps... petits gestes qui font le groupe.

Il y a peu, la nuit, on voyait brûler une torchère de raffinerie de pétrole. La torchère a disparu, et avec elle une bonne partie de la raffinerie. Le journal des troupes US (Stars and Stripes) a prétendu qu'il s'agissait d'un accident industriel. Ils ont dit qu'il y avait eu une explosion vers les neuf heures du matin. Bizarre, ça brûlait comme l'enfer à sept heure quarante cinq... Et juste avant, on a entendu le bruit des explosions... Nous prennent vraiment pour des idiots ! Mais il est vrai qu'il faut rassurer l'électeur amerluche, lui faire croire que ça va aller de mieux en mieux...
Il y a une amélioration, mais ça ne veut sûrement pas dire que c'est fini !

A propos de futur, je commence à compter les jours, les jours à entendre les générateurs, les jours à manger du poulet, les jours à parler anglais, les jours suspendu à l'Internet comme à un filin de survie, les jours à attendre que le futur se dissolve dans l'improbable présent, avant de devenir un passé recomposé à la sauce du souvenir, noyé dans les mots...

La vie en France semble si irréelle, vue d'ici, même si je sais que je m'adapterai à nouveau en quelques jours, je ne peux vraiment m'empêcher de m'interroger. Qu'est-ce qu'aller et venir dans la rue? Qu'est-ce qu'avoir autour de soi de l'horizon à ne savoir qu'en faire? Qu'est-ce que changer d'horizon sans savoir à demander l'autorisation? Saurai-je encore entrer dans un café et passer une commande? Acheter et lire un journal?

Le réel ici est à la fois très simple et hyper compliqué ! Tout ce qui est hors des limites du compound, voire même, tout ce qui dans le compound est zone interdite aux clients, relève de l'abstraction. On ne peut même pas s'en faire une représentation visuelle fidèle, car tout ce qu'on en voie est limité, soit par la distance, soit par le cadre de la fenêtre de la voiture qui nous transporte. Le réel se limite donc a des murs en T renversés, à une alternance jour - travail - irakiens / nuit - repos - expats seulement, à des détails triviaux, ou a des relations humaines qui prennent une valeur et une saveur exceptionnelles. Le monde du dedans est presque noir / blanc. Le reste est écrasé sous le soleil et le ciel bleu.

vendredi 7 décembre 2007

Bouquins... et autres

J'ai déjà épuisé le Debray et les Chomsky rapportés par Munif depuis quelques semaines. J'hésite à lire pour la troisième fois en trois mois le "Kafka sur le rivage" qui nous a bien fait planer, avec Thierry ! Bien-sûr le Rosanvallon est passionnant, mais le soir, avant de s'endormir, c'est pas ce qui se fait de mieux ! Trop de questions pour dormir tranquille !

J'oublie systématiquement quel jour passent les feuilletons policiers sur TV5, donc, pour la télé, c'est râpé aussi : vais tout de même pas regarder CNN !

L'autre jour, en partant pour la Zone Internationale, j'ai demandé aux PSD ce qu'ils feraient après l'Irak, quand la paix serait revenue. La réponse a fusé comme une évidence : il y aura toujours une guerre quelque part où l'on a besoin de nous. L'autre a ajouté dans un éclat de rire, "On pense déjà à l'Iran".
Je leur ai aussi demandé si leurs AK47 sont des vrais, des russes, ou des imitations venues de Chine. Ils m'ont expliqué comment les reconnaître, et ont surtout insisté sur le fait qu'il ne faut pas utiliser de munitions irakiennes : de mauvaise qualité, bon nombre d'entre elles ne fonctionnent carrément pas.

N. qui travaille avec nous, me parle souvent de son mari, ancien officier chiite, qui a déserté quand on lui a ordonné de participer à la répression de la rébellion chiite dans le sud, après la première guerre d'Irak. Elle me raconte comment le fait de rester caché dix ans l'a rendu aigri, alcoolique, elle m'explique qu'elle ne reste avec cet homme que pour l'honneur de ses filles. Elle rêve du jour où elle pourra enfin prendre tout ce qui est à elle dans la maison, et l'abandonner.
Parfois, elle entreprend de me convaincre de croire en Dieu, m'explique que le Coran a tout prévu, que tout est déjà dans le Coran, que toutes les réponses y sont... En vain, je dois le dire...
J'aime bien discuter avec N. Nous avons à peu près le même âge, elle a vécu en Occident, elle comprend mes interrogations, je comprends ses inquiétudes.
Elle me confirme que la situation s'améliore ; toutefois, elle ne peut pas courir le risque de prendre un taxi dans le secteur pour retourner chez elle. Alors à plusieurs, ils paient notre chauffeur pour les raccompagner après le travail. Comme elle habite plus loin que les autres, il lui faut partir bien avant 7 heures le matin, et souvent elle ne rentre que tard le soir.