samedi 13 mars 2010

la mémoire et la mer


Etre un étranger. Pas facile, quand on y pense, autre galaxie, autre langue et autres habitudes... Ils pensent dans un vocabulaire différent du tien, ils savent les codes, ils tirent les cordes pendant que toi, tu déchiffres, tu ânonnes... Ils collent sur ta peau des images qui vont selon leur goût à ton pays...

Dans la bataille des clichés, tu es perdant : comment leur dire la poésie de la langue dans laquelle tu rêves encore, comment leur dire la couleur des pierres, le bruissement des couleuvres, au cœur de l'été, dans ton enfance, comment leur dire les nuits à retracer les voyages, le monde, comment leur faire partager les désirs qui bruissent et que seuls peuvent entendre ceux qui rêvent dans la même langue que toi...

Non, tu ne peux rien d'autre que bâtir pour eux sur leurs fantasmes, clichés, ajouter les parfums de la fumée des ceps que jamais tu ne sentis, aux fumets issus des magazines. Non, tu ne peux pas lutter contre leurs rêves, toi, avec ton enfance, tes rêves, tes souvenirs, les mots si drôles de tes amis, non tu ne peux rien dire de la route droite qui te sépare de ceux que tu aimes, route désespérante qui te conduit vers l'autoroute, après que tu aies laissé ton fils, non ils ne peuvent pas savoir ta France, savoir ton amour pour ceux qui te manqueront toujours, toi dont les années d'exil ne servent qu'à bâtir ton désespoir de retrouver un jour ton passé où tu l'avais laissé...

Non, ce passé n'existe plus, non, ils ne t'ont pas attendu, et tous tes souvenirs amassés, quel poids font-ils face à eux, qui sont restés, face au réel, face la vie dans ta langue, face aux montagnes qui ne sont pour toi que des souvenirs... Quel poids pèse donc ta vie, quel poids pour tes soirées solitaires, quel poids pour tes moments à gueuler ton désespoir, quel poids tes nuits aux fins fonds de l'humanité, à la recherche d'une liberté illusoire, quand ils sont face à leur vie, sans toi...

Et comment leur dire la douleur du manque, quand ils ne voient que les palmiers, les cocotiers, exotisme bon marché aux couleurs chatoyantes, comment leur dire le manque, l'immatérialité de leur présence téléphonique, comment leur dire le manque d'un contact vrai, d'un silence partagé, de la nuit dans la voiture, à conduire sous l'orage avec eux...

Etre un jour, un mois, un étranger, pour cesser à tous jamais de coller sur le dos de l'étranger, nos fantasmes, notre ignorance...







(L'an dernier, il a décidé de vivre... la porte s'est entrouverte vers l'avenir)

1 commentaire:

  1. C'est magnifique! No comment... courage Philou =) =) =) =) =)

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