mercredi 4 mars 2009

Des jours et des nuits à Kaduna

Ce serait presque une vie de compound, si ce mot ne portait pas le poids des armes et des murs de béton. Une vie réglée par le travail et accessoirement par les appétits du chef de mission. Une vie qui suinterait presque l'ennui, si l'on n'avait pas autant de travail, et surtout, si le travail était clairement délimité.

Le bureau que nous a fourni le Head of Office, (disons l'équivalent local de la Direction Générale de l'Administration de la Fonction Publique, pour l'Etat de Kaduna, 6 millions d'habitants), le bureau, donc, est si minable et poussiéreux, que nous n'y allons que rarement. Souvent, l'électricité est défaillante, et nous devons nous replier vers l'hôtel. L'hôtel où nous travaillons, dormons, mangeons, le plus souvent, l'hôtel, où nous faisons du sport, où nous traînons...

L'hôtel Pyramid, agrémenté d'une piscine, de terrasses et de bar, pourrait être un endroit agréable. Mais il y traîne une vieille odeur d'ennui provincial, de grenier oublié, de désœuvrement...
Sur la terrasse couverte beuglent trois écrans plats dernier modèle (enfin, si je me réfère à mon dernier passage chez un marchand en Europe). Les week-ends, outre les matchs de foot, un sound system vient assourdir les passagers de l'hôtel et ceux qui profitent de l'escale pour faire une visite à sa piscine.

La piscine semble le lieu de toute vie sociale : on y vient en groupe, en famille, et les enfants ont leur bassin. Autour de la piscine, d'abord, les hommes hésitent, regardent les poissons qui s'ébattent déjà dans de grands rires. Puis ils se jettent dans le bain.
Rares sont ceux qui maîtrisent à la fois la technique du crawl et de la brasse ; nager sur le dos donne un mouvement saccadé...

Le bord de la piscine, c'est aussi le lieu des groupes de jeunes gens, qui rient, boivent un verre, ouvrent un ordinateur portable, soit pour profiter de l'internet wireless, soit pour essayer d'écouter leur propre musique.
Le bord de la piscine, c'est le lieu du possible : "Est-ce qu'elle me voit, est-ce qu'elle va plonger, est-ce qu'elle va sortir...?" Les ondes de la séduction en maillot de bain semblent converger là chaque dimanche après midi... fantasmes remachés comme de vieilles madeleines trop sèches, regrets idiots, dos entrevu de celle qu'on attendra jusqu'à dimanche prochain.

Les nuits sans sommeil, sonorisées par les générateurs électriques, longues plaintes muettes, l'esprit envahi de pensées noires sur un avenir sombre... (Et si je n'avais pas assez de cachets pour dormir pour tenir jusqu'à la fin de la mission, Et si je ne signe pas le projet de Tataouine encore plus loin et encore plus long, Et si j'ai une offre pour aller à Gaza pendant ce projet, Et si je ne retournais pas à Bamako...)

Les week-ends s'annoncent par la visite de Folaké, copine du chef de mission, qui vient d'Abuja. Elle apporte comme un paquet de vie, dans cette ambiance morose. Le chef est content, il accroche à la poignée de sa porte le petit panneau "Do not disturb"...
Ils se finissent par un retour à la réalité : "On va se faire une réunion ce soir, vers 8H30, pour lister tout ce qu'on a à faire cette semaine.

Ce serait une vie de compound, si l'hôtel n'était pas ouvert sur l'extérieur, si l'on ne pouvait pas sortir librement, s'il n'y avait pas de visite possible...
Et déjà, la simple possibilité de sortir est une promesse qu'un soir, nous irons à ce NAF club, le lieu où il faut aller se sentir vivre, le samedi soir !

1 commentaire:

  1. Ravie de vous lire ici.
    Comme quoi l'expérience irakienne est devenue l'étalon de mesure… Pas facile d'en sortir !
    Et c'était comment Bamako ?

    MDA

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